Swika | L’évolution du Trail par Thomas Lorblanchet pour Swika

L’évolution du Trail par Thomas Lorblanchet pour Swika

Cette semaine, c’est Noel, et Swika a un cadeau pour vous : Thomas Lorblanchet en interview juste pour vous. Grand champion de trail français qui a marqué l’histoire de ce sport avec ses victoires éclatantes en France ou aux USA avec sa victoire à la Leadville 100, premier et toujours seul européen à s’être imposé sur cette doyenne de l’ultra running. Désormais en retrait de la pratique à haut-niveau et de nouveau kiné à La Clinique du Coureur de Blaise Dubois, Thomas possède une vision unique sur le trail, la course à pied et le sport en général.

SWIKA : Bonjour Thomas, merci de nous consacrer du temps aujourd’hui pour les utilisateurs de Swika ! Tu as commencé par le triathlon puis t’es mis au trail haut niveau en jeune ; pourquoi ? Quels sont selon toi les points communs et les différences entre ces deux sports ?

Tout d’abord, lorsque je suis entré en école de kiné, le triathlon était devenu trop compliqué à gérer : il fallait combiner une grosse charge d’entrainement en triathlon (j’étais en équipe de France espoir à l’époque) et des études prenantes et volumineuses en terme d’horaires. Le triathlon ne répondait plus vraiment à mes attentes : moi, j’aime courir dans les grands espaces et avec son arrivée aux JO, le tri était devenu trop aseptisé et ne correspondait plus trop à ma vision de la discipline.

En 2001, je fais mon premier trail sur la Sancy-Puy de Dome en mode défi estival ; je ne savais pas trop à quoi m’attendre et puis au final je gagne ! Cette année la, le 2ème de l’épreuve fait 4ème aux Templiers 1 mois après ; alors en 2002, je me lance sur mes premiers Templiers et étant un brin persévérant, je remporte l’épreuve pour la première fois en 2007.

SWIKA : Depuis ton arrivée dans le trail en 2001, beaucoup de choses ont changé : popularité, marques, courses nombreuses et plus longues, approche plus structurée. Comment juges-tu cette évolution, quels en sont les points positifs & négatifs selon toi ?

Je suis à fond pour que le trail se démocratise : il faut savoir que le trail met plein de gens à l’activité physique et que sans le trail, ils ne se seraient peut-être jamais mis à la course a pied

Ensuite, je tire quand même une sonnette d’alarme : ce n’est pas parce que tu démocratises un sport que tu dois casser ses codes. Le trail c’est avant tout l’aventure : ce n’est pas parce que tu es sur la ligne de départ que tu seras sur la ligne d’arrivée. Aujourd’hui, on a tendance à adapter la discipline aux participants : on rajoute des ravitos, on élargit les barrières horaires, etc. Sensibiliser les participants à l’ADN de la discipline serait à mon sens plus sain.

SWIKA : On observe une très grosse communauté et culture trail aux USA. Grands champions, épreuves spécifiques (HardRock, Western States voire même la Barclay dans son registre). Pour toi qui a tant d’expérience et d’admiration pour ces épreuves, quelles sont les différences principales dans la pratique, ou les épreuves proposées aux USA ?

Beaucoup de questions en une ! La principale différence entre le trail aux US & en Europe c’est qu’à mon sens les américains ne font pas forcément du trail pour le CV ou la carte de visite. Le trail là-bas, c’est un peu le surf de la course à pied, il y a un certain way of life autour de ce sport avec des mecs comme Scott Jurek, Jenn Shelton ou plus récemment Anton Krupicka ou même Jim Walmsley dans son style. Les gens se prennent moins la tête là-bas et paradoxalement se présentent sur la ligne de départ mieux préparés qu’en France.

Sur la majeure partie des courses US, les coureurs signent une décharge pour être sur la ligne de départ, il y a donc une certaine responsabilisation des participants qui encourage une meilleure préparation. De manière générale, on retrouve cette philosophie dans leur façon d’aborder le sport en général aux US.

En France même si des gars comme François (d’Haene) ou Xavier (Thévenard) (que j’apprécie beaucoup) revendiquent un peu la même vision qu’Anton (Krupicka) , les coureurs se sont transformés un peu en biomans de la montagne. On suréquipe et surprotège les gens ; on essaye de pallier le manque de préparation générale avec de l’équipement alors que la meilleure préparation reste l’entrainement et la répétition du geste.

SWIKA : Du coup, sur cet aspect de la préparation, peux-tu nous en dire un peu plus ? Comment expliques-tu que les élites (Jim, Zach etc.) n’aient encore jamais gagné les courses françaises majeures (UTMB, Templiers) ? La technicité ne semble pas une raison suffisante quand on voit les longues préparations alpines qu’ils effectuent.

A propos des coureurs US en France : l’inverse est aussi valable ! Très peu d’européens s’imposent aux US. Un Jim Walmsley tu le laisses 2 ans dans les Alpes, à courir sur des courses plus engagées et ça devrait le faire sans aucun problème. C’est aussi une question de mentalité, ils abordent les courses différemment. Jim lui, il ne veut pas gagner une course en gérant, il veut être à fond. Alors oui c’est quitte ou double : soit il explose le chrono, soit il explose tout court ! C’est la même chose pour un Zach Miller.

Dans cette logique, les coureurs chinois qui calculent beaucoup leurs courses gagneront l’UTMB avant les américains qui sont plus dans un mode baroudeur.

SWIKA On te sait très réticent à une candidature du trail aux JO à moyen et long terme. Quelles sont tes motivations ?

On ne peut pas dire que je sois fondamentalement réticent au trail aux JO mais reste mitigé. J’ai vu les adaptions de la discipline en triathlon pour rentrer dans le moule olympique et cela a entraîné clairement 20 ans après un triathlon à 2 vitesses. Dans les années 90 les meilleurs mondiaux étaient sur la même ligne que les amateurs qui voulaient juste finir, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Du coup pour le trail, qui est un sport différent de la course à pied classique je ne suis pas vraiment pour l’aseptiser et le faire rentrer dans des codes (télévisuels) avec une logistique du sport spectacle

SWIKA On observe depuis bon nombre d’années une banalisation des durées d’effort. Ce qui a démarré avec le marathon s’est poursuivi en triathlon avec l’Ironman, s’applique aujourd’hui à l’Ultra Trail. On entend par là un nombre incroyable de kms effectués à l’entrainement et en compétition sur l’année par des athlètes amateurs, sans aucune progressivité ou prise de recul. Cela se solde très souvent par des blessures physiques ou une lassitude mentale. Comment expliques-tu ce phénomène ? Comment pourrait-il être enrayé ?

On est actuellement dans une hiérarchisation horizontale qui n’est pas saine : tout le monde se croit capable de tout faire. Moi par exemple, tu me mets dans une voiture de course, je ne prétendrais jamais pouvoir faire ce que fait un Kimi Raikonnen ! C’est un peu la même chose dans notre sport. Aujourd’hui tout le monde pense pouvoir faire son ultra ou ses 5 ultras dans l’année ; mais c’est une grosse erreur, tout le monde n’est pas égal c’est tant mieux comme ça?

Même moi à mon échelle, si je m’aligne sur un grand marathon, je vais peut-être faire 2h30, c’est pas si mal tu me diras, mais je vais me prendre quand même 25′ par le vainqueur. C’est le principe même du sport.

La société de consommation s’applique au sport : on consomme du défi perso & de l’activité physique. Mais c’est un non sens ou tout du moins ce n’est pas ce que j’envisage pour le trail d’adapter une discipline à ces codes-là.

SWIKA Quand on voit l’état de certains coureurs dans les courses longues, penses-tu que le trail soit un sport extrême ? voire dangereux ?

(Rires) Il faut savoir que même quand tu abandonnes, tu es à des années-lumière de te mettre en danger ; on a tous un auto contrôle (le gouverneur central) qui régule les choses et permet de t’épargner. Ceux qui vont se mettre en danger ne sont pas légion et c’est pour des problèmes davantage médiaux et spécifiques : insuffisance rénale, problèmes cardiaques, etc.

Ensuite pour le côté extrême et souffrance, ça dépend de ce que tu recherches dans la discipline : il y en a qui aiment et adorent ça. Un peu comme ceux qui ne conçoivent pas d’aller a une soirée sans finir déchirés. Je suis sûr que c’est les mêmes qui finissent leurs trails en rampant.

SWIKA On te sait ardent défenseur d’une foulée médio-pied & naturelle, adepte des travaux de Blaise Dubois avec qui tu travailles, à l’encontre de bon nombre d’industriels de la chaussure ou du monde du running en général. Peux-tu nous en dire plus ?

Pour de nombreux coureurs, la chaussure reste la solution ultime pour s’épargner des blessures. C’est complètement faux ! La solution du changement de chaussure est un des moyens pour permettre une foulée plus protectrice. Mais 90% des blessures en course à pied sont liées à une erreur d’entraînement par rapport à un corps ou un organisme mal adapté.

Pour l’aspect business du running, je suis assez défaitiste vis à vis de ça. On ajoute de la fausse technologie sans fondement scientifique ou biomécanique, simplement pour légitimer le fait de vendre le produit plus cher… Si tu prends l’exemple de l’industrie du tabac, tout le monde sait fondamentalement que la cigarette est nocive mais les gens continuent de fumer.

SWIKA Et du coup, en poussant la question plus loin, que penses-tu du minimalisme ?

Pour moi le mouvement minimaliste par rapport à la foulée naturelle : c’est un peu comme être vegan (végétalien) par rapport à manger juste sainement et équilibré. Ça va quand même assez loin…trop loin ? Je ne sais pas mais faire l’UTMB en 5 Fingers, n’est pas forcément la meilleure des stratégies et nécessite une adaptation d’une vie… J’en suis et serai incapable et cela doit rester des cas particuliers.

Par contre c’est aussi dangereux de faire débuter quelqu’un en surpoids sur des chaussures avec un amorti important. Les chaussures avec un indice minimaliste très élevé participent à une éducation du geste ; c’est même excellent de manière occasionnelle dans un plan d’entrainement mais je pense qu’il ne faut pas vulgariser ça pour autant ou alors en étant encadré par des professionnels formés.

SWIKA Comment penses-tu que les professionnels de santé puissent faire le poids dans ce débat, au delà du diagnostic et de la guérison de la blessure ? Chez Swika, on permet aux coureurs de revendre leur dossards en cas de blessure ou d’imprévu mais périostite, TFL, sciatique, entorses, fractures de fatigue…sont-elles une fatalité pour toi ?

Il faut savoir que même si on a l’impression que le geste va tout changer, la clef du problème reste un entraînement adapté, bien dosé, bien construit.

Même avec la meilleure foulée du monde, un coureur entraîné qui passe de 80 kms à 140km par semaine aura un risque de blessure largement accru. La plus grande qualité du corps, c’est qu’il s’adapte, à condition que le stress occasionné ne soit pas plus grand que sa capacité d’adaptation.

SWIKA Dans la lignée des question précédentes, comment peut-on selon toi garantir la sécurité (pendant les courses, pour les blessures etc.) avec l’augmentation du nombre de participants et de la distance des épreuves ? Qui doit agir, comment ?

Pour ce qui est du certificat médical, c’est une fausse question pour moi car tout est dans l’éducation, la sensibilisation des bonnes pratiques dès le plus jeune âge et dans humilité face aux éléments, aux distances et à l’effort. C’est ça qui changera les états esprits et qui arrêtera les gens de refuser leurs responsabilités parce qu’ils ont un certificat médical. Sans compter, que sur un autre sujet, je ne suis pas sûr que la peur du règlement ou du gendarme face réellement avancer les choses à long terme. Éduquons nos jeunes !

SWIKA On voit de nombreux citadins se mettre au trail, et on s’en réjouit. Cependant les trails offrent la plupart du temps des terrains techniques où le coureur doit composer avec des côtes raides et des descentes techniques qui demandent à la fois une préparation aérobie complète et un travail musculaire approfondi pour encaisser les difficultés du terrain. Quels conseils aurais tu à donner à ces coureurs qui n’ont pas forcément accès aux montagnes pour s’entraîner ?

Je suis moi-même un citadin ! Même si je n’habite pas loin d’espaces naturels, je vis quand même dans le centre de Clermont Ferrand et je dois m’adapter aussi. Il y a plusieurs possibilités en commençant par du renforcement musculaire spécifique. Au début des années 2000 il n’y avait pas grand-chose, alors qu’aujourd’hui il y a beaucoup d’idées et des lignes de conduite plus ou moins précises : pliométrie, exercices excentriques (pour renforcer la fibre musculaire, etc).

SWIKA Et la piste d’athlé à t-elle sa place dans le trail ?

Je dirais oui et non.

Mais moi, à titre perso, ça fait partie mon entrainement parce que

J’aime courir tout simplement. En plus c’est ludique et ça permet de courir avec des copains même de niveaux très différents
J’aime bien savoir ou j’en suis, et sur piste on ne se cache pas derrière des faux chronos
C’est utile en hiver, car l’hiver c’est la phase ou tu vas essayer de développer ta Vo2 Max : tu peux le faire sur la piste, en ski de rando ou en ski de fond. Mais moi je n’ai pas le temps pour faire du ski de rando & du ski de fond donc la piste c’est vraiment le plus simple.
Après c’est clair que si la logistique le permet, c’est direction la chaine des Puys 🙂

SWIKA Comment tu préparais tes courses ? Tu avais des plans particuliers ?

J’aime bien procéder avec plein d’angles d’attaque différents. Sur une épreuve j’aime connaitre ses spécificités et je vois si cela est compatible avec ce que je peux mettre en place au quotidien. Les Templiers c’était idéal pour moi, mais la Diagonale des Fous, ça a été plus compliqué et le sera toujours vis à vis de mon travail et de mon mode de vie.

Par exemple, la Leadville, c’est assez roulant, un peu comme un grand Templiers et ça répondait à mon cahier des charges & à mes qualités de coureurs. Pour moi à Leadville les conditions à remplir c’était : courir vite, s’acclimater à l’altitude et savoir courir avec un pacer, sachant que l’altitude c’est le truc le plus dur à gérer. Il faut aller là où ton profil te prédestine. Leadville, ça reste clairement mon meilleur souvenir de trail à tous les points de vue, une expérience vécue avec ma femme est mes enfants, en arrivant plus d’un mois avant la course sur place.

SWIKA Le monde du trail (épreuves, coureurs élites et amateurs, industrie) selon Thomas Lorblanchet en 2030, il ressemble à quoi ?

Paradoxalement, je pense que l’évolution climatique va aider le trail à se développer. En manque de neige, les stations de moyenne montagne vont développer le trail. Je vois bien des remontées mécaniques avec des traileurs dedans.

Je pense aussi que les grosses épreuves vont devenir des mastodontes, un peu au détriment des petites orgas qui vont galérer à survivre. On voit bien que l’UTMB s’approprie un peu le monde du trail en s’autoproclamant rassemblement mondial du trail, en ayant créé l’iTRA et en voulant donner le LA aux autres dans ce sport.

Ça entraînera de plus en plus d’élites mais pas forcément plus de professionnels. Car je pense que l’argent mieux distribué avant qu’aujourd’hui. Les marques investissaient davantage sur des espoirs et des élites avec des personnalités fortes. Maintenant les parts de marchés sont déjà attribuées et l’argent est réparti de manière globale ; il y a moins d’investissements sur des profils prometteurs. Le haut du panier vit mieux qu’avant, mais le reste des élites n’a plus grand-chose.

SWIKA Un mot de conclusion ?

J’insiste sur le retour au naturel et au bon sens dans le trail qui à cause de la manne financière engendrée par le matériel et le nombre de participants aux épreuves (entre autres) à tendance à s’écarter de la raison physiologique et philosophique !

SWIKA Un immense merci Thomas pour cette discussion super sympa, on est vraiment très heureux d’avoir pu obtenir cette d’interview de ta part et on espère que les utilisateurs de Swika le sont tout autant !

L’évolution du Trail par Thomas Lorblanchet pour Swika

Toutes les photos ont été empruntées sur le Flickr de Thomas avec son aimable autorisation https://www.flickr.com/photos/lorblanchet

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